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04/06/2019

« Seven » et la transition écologique: la Colère

 

 

J’avais pensé conclure par l’Orgueil qui, aux yeux des théologiens, serait le plus vicieux des péchés capitaux. Mais le film de Fincher sur lequel je rebondis, basé sur le scénario d’Andrew Walker, conclut, très intelligemment selon moi, sur la Colère. L’assassin, grâce au stratagème qu’il a mis en place, va mourrir de la main même de l’inspecteur qu’incarne Brad Pitt, qui n'aura même pas le mobile d’avoir été menacé. Pour ceux de mes lecteurs qui n’auraient pas encore vu le film, je ne dévoilerai pas de quoi il s’agit, mais vous imaginez que Brad a eu un coup de sang. Et c’est là, je trouve, que placer la Colère en conclusion, comme la plus haute marche d’une gradation, est particulièrement intéressant. La colère du juste devant l’injustice, de l’innocent profondément lésé, est ce que nous sommes le plus portés à pardonner, au point même de ne pas y voir un péché mais au contraire une émotion louable, source d’énergie et de redressement. Ne dit-on pas, d'ailleurs, "une sainte colère" ? Nous ne jugerons pas l'émotion. Elle est là, on la ressent, on est bien obligé de l'accueillir. En revanche, que va-t-on en faire ? Observons que la colère, si on la cultive, est la mère de la violence. Or, celle-ci pervertit la cause que l’on entend soutenir et finit par être un facteur d’échec.

 

Comme le disait Jules Lagneau, le maître du philosophe Alain: « il faut penser difficilement les choses faciles ». Prenons des faits que nous avons sous les yeux. Cela fait des mois que notre pays patauge chaque fin de semaine dans un conflit social - "politique" serait mieux approprié. Il s’agit des « Gilets Jaunes » pour le nommer rapidement. Face à un Gouvernement qui n’a exprimé que du mépris et dont la volonté de briser les fauteurs de troubles s’est affirmée sans vergogne, on a dans un premier temps assisté à une escalade symétrique. Or, pour le moment, force est de le reconnaître, le conflit n’a rien produit sinon - si l'on en croit les sondages - une impopularité croissante des Gilets Jaunes. Le terrain a attiré comme un jeu des éléments de plus en plus violents, probablement étrangers à la cause, qui discréditent un mouvement au départ pacifique, bon-enfant même, qui attirait la sympathie. Au fur et à mesure que se succèdent les « actes » et que s’actualise la comptabilité des dégâts, l’aspiration à « Vivement que ça s’arrête! » n'a fait que croître, et cela malgré la dérive autoritaire et brutale du Gouvernement.

 

La colère est une réaction légitime quand elle résulte de l’injustice. Elle est le dénominateur commun de presque toutes les luttes, qu’elles soient justes ou non. Mais la colère appelle la colère, la colère appelle la violence et la violence appelle la violence. Certes, initialement, la violence peut être celle, larvée, des conditions politiques, économiques et sociales imposées à une population. Mais la violence, fille de la colère, pervertit la cause à laquelle elle fournit son énergie, devenant même parfois la jouissance cachée de certains des acteurs. Et elle finit par être, dans le long terme, un facteur d’échec (30). La violence est un cercle vicieux qui n’a de fin qu’avec l’écrasement de l’un des protagonistes, et encore la mémoire du vaincu peut-elle assurer la survie de la colère et nourrir la pulsion de revanche. On en arrive ainsi à une interminable vendetta où chacun se sent légitimé par les actes de violence de l'autre à poursuivre les siens. Si la marée hebdomadaire des Gilets Jaunes semble perdre de son amplitude, gardons-nous de penser qu’il en sera bientôt fini. Sous la cendre, le feu continuera à couver. Les causes de cette colère sont toujours là et la répression, en la refoulant avec une insigne brutalité, n’a fait que la renforcer.

 

« Mais, quand le fauteur d’injustice ne veut rien entendre, comment faire évoluer la situation ? » allez-vous me demander. J’avoue que la réponse est difficile. Dans l'histoire des peuples, il y a une vision romantique, héroïque, de la colère. Il est vrai qu'elle a un avantage: elle tire les hommes de l'inertie et nourrit leur courage. Si l’on parle, cependant, d’efficacité - d’efficacité dans le temps long - il semble que les stratégies de non-violence sont préférables. Gandhi n’a-t-il pas réussi, sans porter la main sur qui ou quoi que ce soit, à arracher l’Inde à l’Empire britannique ?

 

(30) Je renverrai ici à un article précédent, l’interview de Dominique Viel sur les huit lois des changements durables selon Stephan Schwartz.

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